Cet article est extrait de notre hors-série consacré à l'amour. Retrouvez-le en kiosque le 12 janvier 2022.
Dans votre couple, qui paie quoi ? Qui travaille à temps partiel ? Qui fait le ménage ? Vous ne faites peut-être pas le lien avec les inégalités qui minent notre société… Et pourtant. Les décisions prises dans votre couple sont à l’origine de nombreuses disparités dans la société. Ou alors, elles peuvent amener une société plus inclusive. Tout d’abord, parlez-vous d’argent avec votre moitié ? Ou, comme 43 % des personnes interrogées en 2015, ne connaissez-vous même pas le montant du salaire de votre partenaire ?
On vous l’accorde, c’est le sujet le moins romantique qui soit. Pourtant, qu’il s’agisse des courses, d’emménager ensemble ou d’avoir des enfants, dans la vie d’un couple, il est tout le temps question d’argent. Héloïse Bolle, conseillère en patrimoine et autrice de Les bons comptes font les bons amants, rappelle qu’il est important « d’aborder ces questions. Faute de dialogue, on crée facilement des situations déséquilibrées ». Et dans la majorité des cas, c’est au détriment des femmes, en tout cas si vous êtes hétérosexuel(le), comme 82,7 % des Français interrogés dans un sondage Ifop, en 2019. En France, les revenus des femmes en couple sont en moyenne inférieurs de 42 % à ceux de leur conjoint.
Faute de dialogue, on crée facilement des situations déséquilibrées.
Héloïse Bolle,conseillère en patrimoine.
Si c’est votre cas, optez pour une répartition des dépenses équitable plutôt qu’égalitaire. Comme Caroline et Loïc : lui gagne 800 euros de plus que sa compagne, il contribue donc plus qu’elle aux dépenses communes. Mais gare aux pièges. Maître Sophie Soubiran, avocate au barreau de Paris, met en garde contre une répartition fréquente : celui qui gagne le salaire le plus haut rembourse les grosses dépenses, comme le crédit pour l’achat d’un appartement, tandis que l’autre paie les dépenses courantes.
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« En cas de séparation, on s’aperçoit que l’on a “juste” payé les courses et on se retrouve sans économies, alors que l’autre a acquis un patrimoine. Si on se retrouve seule avec une petite rémunération, il y a des risques de grande paupérisation », observe l’avocate.
À qui profite la mutualisation des impôts ?
Disposer de plus d’argent dans le couple, c’est aussi synonyme de pouvoir. Des études montrent que le partenaire avec les plus hauts revenus prend davantage les grandes décisions financières. C’est aussi souvent le même qui s’occupe des comptes ou des impôts. D’ailleurs, la déclaration commune des couples mariés ou pacsés, proposée par défaut, doit être discutée car « un certain nombre de femmes se font arnaquer », résume la journaliste Titiou Lecoq dans un épisode de son podcast Rends l'argent consacré à la mise en place d'un impôt féministe.
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S’il y a un écart de salaire important, la conjugalisation favorise celui qui gagne plus, en général l’homme, dans les couples hétérosexuels : celui-ci est imposé à un taux moins élevé que s’il avait déclaré seul. À l’inverse, celle qui gagne moins écope d’un taux d’imposition plus élevé.
Cette fichue charge mentale
Élise et Pascal, jeunes mariés parisiens, ont fait ce choix, « parce qu’on gagne presque la même chose », expliquent-ils. Il y a quelques mois, ils ont ouvert un compte commun, tout en gardant un compte perso. « On s’en sert pour le loyer, les factures et les courses. Ça permet une meilleure répartition des dépenses », confie Pascal. Et aussi de garder une trace, au cas où. « Avant, on devait penser à faire des virements. C’est Élise qui a insisté, à cause de la charge mentale… ».
« Qu’est-ce que je vais faire à manger ? J’ai envoyé le chèque au garage ? ». Ces questions illustrent ce qu’est la charge mentale majoritairement supportée par les femmes : ces « to-do » listes pour la gestion du foyer, majoritairement supportées par les femmes. C’est lié à la division sexuée des tâches dans les couples hétérosexuels : en France, les femmes effectuent en moyenne 71 % du travail domestique et 65 % du travail familial. Or « ce temps que l’on passe avec ses enfants ou à faire le ménage, on ne le passe pas sur le marché du travail », résume Catherine Sofer, économiste.
En Chiffres
71 %
C'est la part du travail domestique effectué en moyenne par les femmes en France.
Du fait de leurs charges de famille, les femmes ont des carrières moins rapides et butent sur un plafond de verre qui les empêche d’occuper les positions les plus rémunératrices. Ces inégalités s’accentuent à l’arrivée d’un enfant. D’autant que ce sont encore elles qui s’adaptent le plus : après une naissance, une femme sur deux ajuste son activité professionnelle, contre un homme sur neuf.
C’est le cas de Dominique Pons, retraitée. À la naissance de son fils et pendant une dizaine d’années, elle a fait du quatre cinquième. Si elle a pris la décision en accord avec son mari, Dominique reconnaît : « J’ai peut-être été pénalisée par rapport à d’autres, qui avaient des postes à temps plein. » Le récent allongement du congé paternité (de 11 à 25 jours), permettra peut-être d’équilibrer la balance. Jusqu’ici, les femmes perdaient 25 % de leurs revenus cinq ans après l’arrivée de leur premier enfant.
Le divorce, risque d’appauvrissement
Enfin, si le mariage est la forme de conjugalité la plus protectrice, le divorce induit souvent une perte d’argent. « La partie la plus fragile est la plus désavantagée. Statistiquement, il s’agit des femmes », précise Sophie Soubiran. Un divorce ou une rupture de Pacs était à l’origine d’une perte moyenne de niveau de vie de 19 % pour les femmes en 2009 et de seulement 2,5 % pour les hommes.
Pour corriger les inégalités économiques entre conjoints, il existe des dispositifs juridiques comme la prestation compensatoire, une somme qui doit plus ou moins compenser le temps passé à prendre en charge la vie de famille, pendant que l’autre s’occupe de sa carrière. Excellente idée, mais son calcul est un casse-tête.
Si lors d’un divorce, les avocats documentent tant bien que mal ce travail domestique, les critères restent flous : quand il est question de prouver qu’une femme allait chercher les enfants à l’école, « on a tendance à considérer que ce travail domestique, c’est de l’instinct maternel, de l’amour, de la dévotion », poursuit l’avocate.
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Après un divorce, les femmes ont la garde des enfants dans trois quarts des cas et les pères doivent payer une pension alimentaire. C’est l’arrangement préféré par les parents eux-mêmes. Problème : le montant de la pension dépend davantage des revenus du débiteur que des réels besoins. Qui plus est, fiscalement, cette contribution est considérée comme un revenu pour celle qui la perçoit alors qu’elle est déduite des impôts de celui qui la paie.
En somme, résument les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac, « aujourd’hui encore, les femmes se spécialisent dans le travail domestique gratuit, tandis que les hommes se concentrent sur leur carrière professionnelle payante. Les femmes travaillent, mais elles n’accumulent pas ». Alors, aujourd’hui, ce sera soirée Netflix ou finances du couple ?
Pour aller plus loin
Fallait demander, BD sur la charge mentale, Emma, 2017.
Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, Titiou Lecoq, Fayard, 2017.
Le podcast Rends l’argent, de Titiou Lecoq, 2020