Sociologie
Travailler en prison pour une meilleure réinsertion ?
Aujourd’hui, les prisonniers ne disposent d’aucun véritable statut. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a annoncé dimanche 7 mars travailler à la question dans le cadre d'un projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire.
Cathy Dogon
"Il y a des détenus qui, en prison, vont découvrir le travail pour la première fois de leur vie, c'est le gage qu'ils quittent la délinquance" déclarait Eric Dupond-Moretti dimanche 7 mars dans Zone Interdite sur M6. Le ministre de la Justice s’exprimait à propos de l’avant-projet de loi "pour la confiance dans l'institution judiciaire”. Un projet de loi est attendu en Conseil des ministres mi-avril.
Aujourd’hui, les prisonniers ne disposent d’aucun véritable statut. Philippe Auvergnon dénonce cette situation. Il répond à nos questions.
Pourquoi Philippe Auvergnon ?
Philippe Auvergnon est directeur de recherche au CNRS et membre du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (COMPTRASEC). Il a participé à la publication "Propositions pour un statut juridique du détenu travailleur" en 2019.
Pour l'Eco. Quel est le statut des détenus qui travaillent ?
Philippe Auvergnon. « Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat », lit on dans le Code de procédure pénale (article 717-3). Et pourtant, les relations de travail existent bien en prison. Il y a une forme de déni de tout encadrement juridique de la relation de travail.
Le projet de loi "pour la confiance dans l'institution judiciaire” pourrait y remédier. Il mentionne un contrat d'emploi ou de travail, la terminologie n'est pas encore très claire. Il encadre la rémunération, déjà prévue depuis la loi pénitentiaire de Rachida Dati en 2009. Il évoque la durée du temps de travail à 35h avec possibilités de temps partiel et d'heures supplémentaires, le droit aux jours fériés, la liste des quelques cas de suspension du contrat, les modalités de rupture de la relation. Aussi, les contentieux relèveront désormais du juge administratif. C'est un indéniable progrès.
Il reste quelques zones d'ombres comme la gestion du travail : il existe quatre grands types de modalités de travail avec des donneurs d'ordre différents, chacun sera-t-il regarder comme l'employeur ?
A quoi ressemble le travail en prison ?
Aujourd'hui, un détenu volontaire peut travailler s'il obtient l'autorisation en commission. Il est ensuite placé sur une liste d'attente et accède à un emploi quand il se libère. Il y a quatre types d'employeurs. On les appelle les donneurs d'ordre.
La plupart des détenus qui travaillent (9 800 en 2016, ndlr) oeuvrent pour le service général, c'est-à-dire le fonctionnement de l’établissement. Ils sont rémunérés entre 20 et 33% du Smic horaire, depuis la loi pénitentiaire de Rachida Dati en 2009. Ensuite, on parle de concession de main d’oeuvre : des entreprises privées viennent faire travailler en prison (7 000 détenus, ndlr). Dans ce cas, la rémunération est fixée à 45% du Smic horaire.
45%
du Smic horaire, c'est le plancher maximum que peut toucher un détenu en travaillant en prison.
Depuis 2016, des associations comme Emmaüs participent à "l'insertion par l'activité économique" en fournissant du travail aux détenus. Enfin, une agence du travail d’intéret général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice a été créée en 2018. Elle récupère notamment les activités de type productive offertes par l’administration pénitentiaire. C'est une sorte de régie industrielle (1150 détenus, ndlr). Le problème, c'est qu'il y a peu d'offres et un turn over important.
Les formes de travail restent relativement rudimentaires et non qualifiées. Elles consistent souvent à fabriquer du collage d’enveloppe, à peler des oignons ou à classer des vis plates ou cruciformes. Mais il y a aussi quelques beaux exemples, comme les ateliers de sous-traitance du secteur aéronautique à Toulouse. Les détenus y travaillent souvent 35 heures et touchent parfois 700 euros par mois.
En prison, qui accède au travail?
Le profil du détenu travailleur est difficile à dresser. Selon l'administration pénitentiare, 25 à 30 % des détenus accèdent au travail ou à une formation mais elle ne distingue pas le temps de l'activité, ça peut être une heure comme dix.
Le travail est utilisé par l’administration pénitentiaire comme un levier de régulation interne. La carotte et le bâton. Si le comportement du détenu est correct, il peut continuer à travailler, mais il peut être déclassé si c'est une forte tête.
30% de la population carcérale connaît des problèmes psychiques ne lui permettant pas forcément de travailler normalement en prison, comme à l’extérieur. Enfin, une bonne partie des jeunes détenus se trouve souvent en périphérie du marché du travail. Plutôt que de les y lancer immédiatement, il faut d'abord assurer une formation professionnelle et leur apprendre les règles du jeu.
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Le travail en prison permet-il aux détenus de mieux se réinsérer dans la société à leur sortie ?
Il n'existe pas de chiffre sur le succès de la réinsertion grâce à une activité en prison. D'ailleurs, nous n'établissons pas de liens directs entre travail en prison et insertion. On peut en revanche dire que si le détenu ne travaille pas, ça ne va pas l'aider. Les gens qui n'auront pas travaillé du tout pendant leur détention auront plus de difficultés à trouver un emploi à la sortie. L'activité entretient l'autonomie et la dignité. Ces qualités peuvent faire la différence à la sortie.
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Ce qui est prouvé en revanche, c'est le rôle du lien social dans la réinsertion. Plus le détenu reste proche de ses amis, de sa famille, plus vite il retrouvera du travail, un logement, une vie sociale. Et l'argent aide pour cela. Envoyer un chèque à la famille peut éviter la rupture des liens.
En prison, quelle est la relation à l’argent ?
Ça coûte cher de vivre en prison. Dans les années 2000, les études estimaient à 200 euros par mois le budget nécessaire pour vivre honnêtement. Il n'y a pas eu d'autres travaux menés depuis mais ça a dû augmenter. Cette somme permet de louer un téléviseur ou un frigo, d'acheter des produits d'hygiène, de l'alimentation ou n'importe quoi d'autre qui améliorerait le quotidien.
Au delà de 200 euros par mois, les sommes sont de toute façon très encadrées : soit elles sont envoyées pour indemniser les victimes, soit elles constituent un pécule de sortie.
Quels sont les droits sociaux d'un détenu travailleur ?
Sur cette question, le projet de loi constitue un vrai progrès. Aujourd'hui, les détenus bénéficient d'une protection sociale en nature, c'est-à-dire qu'ils sont pris en charge sur le plan médical, mais pas en espèce. Ils ne touchent pas les indemnités journalières de la sécurité sociale, que ce soit pour un accident du travail qui aurait eu lieu avant leur peine, ou pour une maternité en cours.
Si la loi est votée, ils pourraient toucher des indemenités journalières en cas de maternité, accidents du travail et maladies professionnelles. En travaillant, ils pourraient aussi côtiser au chômage et ainsi bénéficier d'une indemnisation à leur sortie. C'est essentiel dans la lutte contre la récidive. Après la libération, les premiers mois sont décisifs, notamment pour l'accès au logement et au revenu minimal. Il faut anticiper au mieux ce moment.
En revanche, le projet ne prévoit pas de protéger les détenus en cas de baisse d'activité de leur employeur. Si un détenu embauché doit réduire son temps de travail à cause de la conjoncture économique, il ne pourra pas prétendre au chômage technique.
Les syndicats du personnel pénitentiaire s'emparent-ils de cette question ?
Il y a une articulation entre le travail du personnel pénitentiaire et le travail des détenus. Les établissements ne fonctionneraient pas sans la main-d'oeuvre des détenus à l'intérieur des prisons. Mais je n’ai lu aucune déclaration des syndicats de surveillants à ce propos mais ils sont là pour protéger les conditions de travail et rémunérations des professionnels.
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