Sociologie
« Un niveau de compétences trop bas pousse aux délocalisations »
Pour répondre aux handicaps structurels de l'économie française, il est nécessaire de relever le niveau de compétences des élèves, estime Patrick Artus, professeur d’économie à l’École d’économie de Paris et conseiller économique pour la banque Natixis.
Patrick Artus, professeur d’économie à l’École d’économie de Paris, conseiller économique pour la banque Natixis
© Kateryna Babaieva via Pexels
La France a un problème de compétences. Les enquêtes internationales montrent le très bas niveau de celles de la population active et des jeunes.
L’enquête Pisa de l’OCDE est claire : en compréhension d’un texte, en mathématiques, en maîtrise des technologies de l’information, nos jeunes manifestent des capacités inférieures à la moyenne de l’OCDE. Cette enquête confirme également la perpétuation des inégalités, puisque les enfants venant de milieux défavorisés ont des connaissances particulièrement médiocres.
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Dans l’enquête Timss, les jeunes Français (de CM1 et de quatrième) sont classés derniers ou avant-derniers (parmi plus de 60 pays) en ce qui concerne les connaissances en mathématiques et en sciences. Enfin, l’enquête Piacc de l’OCDE, qui mesure les aptitudes de la population active, classe la France dans le peloton de queue de tous les pays, qu’ils soient avancés ou émergents.
Attention aux mots ! « Compétence » ne veut pas dire « niveau d’éducation ». À tous les niveaux d’éducation, les personnes peuvent être plus ou moins « compétentes ». On constate, certes, que le niveau de compétences des Français est d’autant plus faible – on pourrait dire catastrophique –, relativement aux autres pays, que leur niveau d’éducation est faible. Est-ce cela qui grippe notre ascenseur social ?
Éviter les délocalisations
On connaît par ailleurs les handicaps structurels de l’économie française : faible poids de l’industrie et déficit commercial massif (80 milliards d’euros par an) pour les produits industriels ; faible taux d’emploi (proportion de la population en âge de travailler qui a un emploi 12 points plus bas qu’en Allemagne) ; déficit d’innovation de rupture et de modernisation (robotisation) de l’économie.
Comme remèdes à ces handicaps structurels, on suggère souvent des aides publiques à la réindustrialisation des secteurs stratégiques, une baisse des cotisations sociales des entreprises, une augmentation des dépenses de recherche et développement (R&D)…
Mais comprenons bien que ces politiques échoueront si le niveau de compétences n’est pas relevé. Car un niveau de compétences trop bas, en empêchant les entreprises de se moderniser par manque de salariés qualifiés, pousse aux délocalisations.
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D’ailleurs, quand on compare statistiquement les pays de l’OCDE, on observe une corrélation extrêmement élevée entre le niveau de compétences d’une part (mesuré par l’enquête Piacc) et d’autre part le poids de l’industrie dans l’économie, le taux d’emploi, les dépenses de R&D et les gains de productivité. Toutes ces caractéristiques de l’économie sont extrêmement liées aux compétences. Celles-ci sont donc un enjeu central pour la réindustrialisation, la modernisation, la croissance de long terme et le plein-emploi.
Alors, on fait quoi ? Si on est convaincus qu’améliorer les compétences est essentiel, reste à savoir comment on les améliore. Peut-on croire que les systèmes publics d’éducation et de formation vont y parvenir dans leur configuration actuelle ? Quel rôle devront jouer les entreprises ? Et ne perdons pas de vue qu’il ne suffira pas de soutenir les formations d’élite. Il faut redresser les compétences à tous les échelons d’éducation. C’est un chantier gigantesque.
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