Géopolitique
Un pays comme la France peut-il vraiment imiter les succès économiques des autres ?
Sélection abonnésIl peut être très utile de s’inspirer des modèles en vigueur dans les autres pays. Mais sans les imposer artificiellement, car chaque société possède des spécificités culturelles et administratives qui résistent au copier-coller.
Audrey Fisné-Koch
© Getty Images
Cet article est extrait de notre magazine consacré aux comparaisons internationales. À retrouver en kiosque et en ligne.
« La France, destination européenne n°1 pour les investissements ? » ; « Les salaires des enseignants français nettement inférieurs à la moyenne de l’OCDE ? » ; « Les retraités français vivent mieux que dans les autres pays développés ? » ; « Non, la France n’est plus la cinquième puissance économique du monde ? »… Des titres d’articles de ce genre, on en lit des centaines chaque année. Et pour cause, les comparaisons internationales ont le vent en poupe.
Pendant longtemps, les données étaient peu disponibles. Désormais, elles fleurissent en abondance, ce qui incite les décideurs à incorporer beaucoup de comparaisons internationales dans leurs plans d’action. Des ministères aux banques centrales, chacun a le mot « benchmarking » à la bouche. « Cet appétit de comparaison s’est développé depuis les années 1980 avec l’essor de la mondialisation, l’internationalisation des économies et la multiplication des organisations comme l’OCDE », explique Florence Jany-Catrice, professeure d’économie à l’Université de Lille.
Cet article est extrait de notre magazine consacré aux comparaisons internationales. À retrouver en kiosque et en ligne.
« La France, destination européenne n°1 pour les investissements ? » ; « Les salaires des enseignants français nettement inférieurs à la moyenne de l’OCDE ? » ; « Les retraités français vivent mieux que dans les autres pays développés ? » ; « Non, la France n’est plus la cinquième puissance économique du monde ? »… Des titres d’articles de ce genre, on en lit des centaines chaque année. Et pour cause, les comparaisons internationales ont le vent en poupe.
Pendant longtemps, les données étaient peu disponibles. Désormais, elles fleurissent en abondance, ce qui incite les décideurs à incorporer beaucoup de comparaisons internationales dans leurs plans d’action. Des ministères aux banques centrales, chacun a le mot « benchmarking » à la bouche. « Cet appétit de comparaison s’est développé depuis les années 1980 avec l’essor de la mondialisation, l’internationalisation des économies et la multiplication des organisations comme l’OCDE », explique Florence Jany-Catrice, professeure d’économie à l’Université de Lille.
Et l’avalanche de comparaisons va encore s’intensifier avec l’irruption du big data, du « nowcasting » (prévision immédiate) et des bases de données en libre accès. En réalité, les économies ont toujours cherché à se comparer : à elles-mêmes via des comparaisons dans le temps, ou aux autres pays. Étudier l’ailleurs, c’est utile pour se situer par rapport à d’autres pays ou pour affirmer sa puissance. « D’ailleurs, on parle bien de guerre économique entre la Chine et les États-Unis », commente Florence Jany-Catrice.
Éco-mots
Benchmarking
(repère) Méthode qui peut être utilisée par une entreprise ou un pays consistant à comparer ses processus, son organisation à ceux de partenaires ou de concurrents. C’est un moyen d’identifier les bonnes pratiques ailleurs pour les déployer ensuite en interne.
Comprendre le monde qui nous entoure
Autre avantage : en observant ses voisins, un pays peut anticiper et se préparer. C’est ce qu’a fait la France au début de l’épidémie de Covid-19 en scrutant l’Italie, qui avait deux semaines d’avance. Et puis, c’est avec les comparaisons que des informations sont récoltées à destination des économistes, du grand public et des décideurs politiques, nous explique Houssein Guimbard, économiste au Cepii : « Ces données permettent à la fois de mieux comprendre le monde qui nous entoure, mais aussi de définir des politiques économiques. » Comparer les droits de douane peut permettre de sélectionner les meilleurs partenaires commerciaux.
Tenir compte des économies voisines est d’autant plus important pour les petits pays, indique Guillaume Gaulier, économiste à la Banque de France. Si des géants comme les États-Unis, l’Inde ou la Chine prennent moins en compte ce qu’il se passe à côté de chez eux avant de prendre des décisions, ce n’est pas le cas pour des États européens comme la Belgique. Pour leurs négociations salariales, les entreprises belges tiennent compte de l’inflation salariale allemande, sachant qu’elles pourraient perdre en compétitivité.
Carbone : le casse-tête du calcul
Comment mesurer les émissions de CO2 d’un pays ? demande Guillaume Gaulier : « Est-ce que l’on regarde les émissions faites directement sur le territoire ou bien on incorpore celles qui ont été nécessaires pour fabriquer les biens et services importés ? Cela conduit à deux indicateurs différents et chacun exige de manipuler des données internationales complexes », explique l’économiste de la Banque de France.
Certains indicateurs se font néanmoins peu à peu une place. Le Global carbon project, consortium qui réunit une centaine de scientifiques, dresse chaque année un état des lieux des émissions de dioxyde de carbone (CO2) dans le monde. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) observe de son côté l’empreinte carbone de la France et l’ONG Global Footprint network, qui scrute le même indicateur à l’échelle mondiale, est célèbre pour son calcul du « jour du dépassement », c’est-à-dire celui à partir duquel l’humanité a consommé l’ensemble des ressources planétaires disponibles.
Des lois universelles
Mais l’autre intérêt majeur des comparaisons internationales, c’est de dégager des lois universelles. Ces méthodes qui marchent quelque part et qui pourraient servir de modèle. Les exemples ne manquent pas : le Canada a redressé ses finances publiques avec une réforme de l’État ; le Danemark a mis en place un salaire étudiant ; l’Estonie a massivement digitalisé son économie en 30 ans ; la Suède a supprimé la notion de handicap pour plus d’inclusion… Pour autant, mettre côte à côte les données chiffrées de deux pays ne garantit en rien que l’on pourra appliquer dans l’un la politique menée avec succès dans l’autre. Mais on peut s’en inspirer.
« Pour justifier les baisses des coûts salariaux, les baisses de certains impôts de production ou les politiques de compétitivité qui ont amené le CICE [Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, NDLR], les responsables politiques mettent souvent en avant les comparaisons internationales », constate Guillaume Gaulier. « Ces comparaisons jouent un grand rôle dans les analyses réalisées par la DG Trésor et in fine, dans les recommandations de politique économique », renchérit la direction du Trésor, rattachée à Bercy.
Source : Global carbon atlas
Or, les pièges sont nombreux. Pour exploiter vraiment les comparaisons internationales, il faut connaître les spécificités culturelles, administratives et statistiques de chaque pays. Prenons par exemple le chômage. En Allemagne, ce dernier est beaucoup plus faible qu’en France, mais c’est au prix de plus de temps partiel et de « mini-jobs ». Comparer simplement les taux de chômage, c’est masquer cette importante différence, explique Houssein Guimbart, du CEPII. « Il faut donc avoir ce biais en tête si on veut utiliser l’expérience allemande pour faire baisser le taux de chômage en France. »
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Même difficulté quand on compare l’effet du « chômage partiel » pendant la pandémie. « Les instituts statistiques des États-Unis et d’Europe n’ont pas comptabilisé de la même façon les individus forcés d’arrêter de travailler pendant la crise sanitaire, tout en retrouvant leur emploi à l’issue du confinement. Attention donc aux comparaisons des chiffres qui ne décrivent pas le même phénomène », complète Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi et des revenus d’activités à l’Insee.
Source : Insee
Le modèle allemand, le modèle suédois… Ça change tout le temps. Finalement, on choisit le soi-disant modèle en fonction de son objectif politique. On fait croire que la standardisation autour du même modèle pourrait fonctionner, alors que les pays ne peuvent pas être tous pareils.Florence Jany-Catrice
professeure d’économie à l’Université de Lille.
Le piège du « pays modèle »
Certes, il existe bel et bien des standards statistiques européens, des nomenclatures internationales et des définitions communes dans le monde, comme celles du Bureau international du travail (BIT), notamment. Il n’empêche que les réalités sont toujours plus complexes. Dans le commerce international, on utilise des codes à six chiffres qui sont censés désigner les mêmes produits dans le monde entier. Or, si l’on regarde un peu plus en détail, on se rend compte que les sous-catégories de produits sont importantes, mais négligées, comme l’illustre Houssein Guimbard, du CEPII : « Sur un même produit, des chaussures par exemple, deux pays peuvent être compétitifs. L’un peut être spécialisé dans les chaussures à lacets, l’autre dans les chaussures à scratch. Ce n’est pas du tout la même chose, mais on peut formuler des recommandations de politiques économiques qui sont biaisées à cause d’une information statistique trop agrégée. »
Source : Revealed comparative Advantage index, Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII)
Il faut aussi se méfier des fameux « pays modèles », régulièrement cités par les politiques : « Le modèle allemand, le modèle suédois… Ça change tout le temps », s’amuse Florence Jany-Catrice. « Finalement, on choisit le soi-disant modèle en fonction de son objectif politique. On fait croire que la standardisation autour du même modèle pourrait fonctionner, alors que les pays ne peuvent pas être tous pareils. » Le risque existe de voir ces comparaisons « objectives » instrumentalisées. Pour éviter la manipulation, pointe encore Guillaume Gaulier, de la Banque de France, « nous avons besoin d’une pluralité d’analyses pour challenger ces comparaisons ». Pour exercer cette vigilance, chacun doit bien connaître les métadonnées qui accompagnent les chiffres : le contexte culturel, social, politique des pays en question ; leur situation géographique ou encore le contexte dans lequel les données ont été récoltées.
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C’est le cas, par exemple, du classement des universités de Shanghai, créé en 2003. Il a beau être très critiqué, notamment pour sa méthodologie, il n’empêche que beaucoup d’universités s’y réfèrent. À l’origine, le palmarès avait été créé pour mettre en avant les établissements chinois. Et puis il faut savoir relativiser. A propos des investissements étrangers en France, Guillaume Gaulier ironise : « D’une année sur l’autre, l’indicateur, très volatil, peut bondir ou s’écrouler juste parce qu’une entreprise a réalisé une grosse opération. »
Les failles de l’Indice de développement humain (IDH)
Il faut être vigilant avec tous les indicateurs, alertent les spécialistes. L’Indice de développement humain (IDH), développé par les Nations unies, ne fait pas exception. Celui-ci est calculé à partir d’un facteur santé (l’espérance de vie à la naissance), d’un facteur économie (Revenu national brut par habitant) et d’un facteur éducation (taux d’alphabétisation et Ratio brut de scolarisation). Parmi les indicateurs composites, c’est-à-dire ceux qui combinent des données de sources diverses, c’est l’un des plus qualitatifs.
Néanmoins, la façon dont on combine ces différentes informations, en général, est très subjective. Elle va dépendre de qui le fait et cela va avoir des implications importantes sur la lecture des résultats. Par ailleurs, comme pour le PIB, l’IDH ne va finalement pas donner toutes les informations sur des inégalités à l’intérieur d’un pays, sur les libertés individuelles et collectives et va mettre sur un pied d’égalité les aspects santé, éducation et économie. Une solution?: regarder plusieurs indicateurs au lieu de les mélanger.
Pour aller plus loin
Les articles.
« La fragile comparabilité des durées de travail en France et en Allemagne », Thomas Körner (Destatis), Loup Wolff (Insee, CEE), INSEE ANALYSES (2016)
« Stratégie pour l’emploi de l’OCDE : la France dans une position moins défavorable qu’avec le seul taux d’emploi », Olivia Montel (Insee, 2020).
Les ouvrages.
L’Empire des chiffres. Une sociologie de la quantification, Olivier Martin (Albin Michel, 2020)
Les Nouveaux Indicateurs de richesse, F. Jany-Catrice et J. Gadrey (La Découverte, 2016)
Ecological Footprint: Managing Our Biocapacity Budget, M. Wackernagel, B. Beyers (New Society Publishers, 2019) [en anglais]
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