L’essentiel :
- L’inflation alimentaire continue en France, avec + 14,9 % en avril 2023, par rapport à avril 2022, selon les derniers chiffres de l’Insee parus ce 28 avril.
- Plus un ménage est pauvre, plus l’alimentaire pèse lourdement dans son budget
- Le gouvernement populiste hongrois a opté pour un blocage des prix sur huit produits « essentiels ». Les distributeurs hongrois ont fait exploser les prix des produits non concernés, rendant la mesure inefficace.
En février 2022, le Premier Ministre hongrois, Viktor Orban, candidat à sa succession, gèle le prix de huit produits alimentaires de base : sucre, farine, huile de tournesol, lait, poitrine de porc, blanc de poulet, pommes de terre et œufs. Tout le monde est concerné et ce gel des prix coûte peu à l’État, car il est entièrement à la charge des hypers et supermarchés. Deux mois plus tard, le parti de Viktor Orban emporte haut la main (51,34 %) des élections qui s’annonçaient serrées au départ.
Le coup politique est réussi, le coup économique nettement moins. En un an, entre février 2022 et février 2023, les prix ont, en moyenne, augmenté de 25,8 %, et les prix de tous les aliments ont grimpé en moyenne de 44 %. Soit le pire taux d’inflation de l’Union européenne. Alors qu’en Europe, l’inflation continue de galoper, tirée cette année par la hausse des prix de l’alimentation, l’échec hongrois interroge. Geler les prix pour que tous puissent se nourrir et éviter une nouvelle Guerre des farines, était-ce une si mauvaise idée ?
Guerre des farines
Période, entre avril et mai 1775, durant laquelle des centaines d’émeutes secouèrent la France en raison de la hausse du prix des pains. Pour certains historiens, ces émeutes sont un prélude à la Révolution Française.
« L’inflation en Hongrie est générale et importée, bloquer huit prix n’y changera rien, clarifie Maik Huettinger, professeur d’économie à l’ESSCA. Plus un pays dépend de la Russie et de l’Ukraine pour l’énergie et les produits agricoles, plus il est impacté par la guerre et connaît une inflation forte. La Lettonie, qui n’a pas bloqué les prix, a le deuxième taux d’inflation le plus élevé d’Europe : +25,3 % pour l’alimentation. Avant la guerre, la Russie couvrait 100 % des besoins en gaz du pays balte ». Avec la guerre, le pays s’est tourné vers d’autres fournisseurs, peu prompts à faire des prix d’ami. En un an, le coût de l’énergie a ainsi grimpé de 29,5 %. Qui dit hausse du coût de l’énergie, dit hausse du coût de production des aliments, de leurs transports et de leur distribution. Il a fallu aussi trouver d’autres pays agricoles à même de remplacer l’Ukraine, baptisé depuis le XVIIIe siècle, le « grenier à blé de l’Europe ». Or, « la météo de 2022, avec ses sécheresses, n’a pas été favorable aux récoltes. S’il y a moins de produits et dans le même temps, une demande qui croît, mécaniquement les prix grimpent » souligne André Fourçans, professeur d’économie à l’Essec.
À cela s’ajoute, l’épreuve de force entre l’Union européenne et Viktor Orban, chantre de la « démocratie illibérale ».
Démocratie illibérale
Régime politique respectant certaines règles démocratiques mais s’affranchissant de contraintes constitutionnelles et réduisant les libertés individuelles. Le terme est apparu en 1990 dans les écrits du politologue américain Fareed Zakaria.
L’Union européenne a gelé une partie des aides européenne, parce qu’elle estime que la Hongrie ne remplit pas convenablement ses devoirs de membre de l’Union en matière d’indépendance de la justice et lutte anticorruption. Les marchés s’en sont inquiétés. La valeur de la monnaie nationale, le forint, a chuté : - 16,6 % par rapport à l’euro en octobre dernier. Résultat : « Acheter des produits de la zone euro coûte plus cher à la Hongrie et crée de l’inflation » conclut Christopher Weber, professeur d’économie à l’ESSCA.
Si le gel des produits, n’est pas le principal fautif, il n’a pas arrangé les choses. « Ce type de mesure échoue car elle crée des distorsions de marché. Les producteurs et les distributeurs ne vont pas risquer la faillite, en vendant à perte. Ils vont diminuer leur offre, en quantité (shrinkflation) comme en qualité, avec, potentiellement, des pénuries » explique André Fourçans.
Shrinkflation
Procédé marketing visant à réduire la quantité d’un produit vendu, sans informer les consommateurs et sans en baisser le prix.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 2020, en France, en plein Covid. Le gouvernement a dû relever les prix maximaux des gels hydroalcooliques préparés en pharmacie. Fixés à l’origine pour éviter la flambée des prix, le seuil jugé trop bas ne couvrait pas, selon les pharmaciens, le coût des matières premières et les fabricants cessaient tout simplement de fabriquer.
L’autre tentation : se refaire sur les produits non concernés par le gel des prix. Comme l’ont fait les distributeurs hongrois. Le prix du sucre étant gelé, celui du sucre cristal a explosé, même chose pour les cuisses de poulet. L’Institut hongrois de recherches économiques GKI, a estimé que « le blocage des prix a entraîné une hausse de l’inflation de 3 % à 4 % ». En France, une telle mesure amènerait très probablement les mêmes effets. Il n’est néanmoins pas sûr que l’État, comme Viktor Orban, prenne le risque d’imposer sa volonté aux distributeurs, et fâcher des acteurs qui pressurisent déjà les prix. « La distribution est un secteur très concurrentiel, où chacun bataille pour avoir les prix les plus bas et vendre ainsi en quantité. Les négociations entre leur centrale d’achat et les producteurs sont très dures et leurs marges sont basses » justifie Julien Pillot professeur d’économie à l’Inseec.
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Le gel des prix distord donc l’offre, la demande n’est pas non plus en reste, comme le prouve le blocage des prix à la pompe, autre mesure du candidat Viktor Orban. « Les automobilistes des pays voisins, sont venues faire leur plein en Hongrie. Ce qui a augmenté la demande, causé des pénuries et forcé le gouvernement à intervenir pour limiter les ventes. Ce même type de phénomène a été constaté pour les œufs et les pommes de terre » indique Maik Huettinger, professeur à l’ESSCA. « La demande intérieure a aussi augmenté, ajoute son collègue, Christopher Weber. Car Viktor Orban au début de l’année 2022, a aussi augmenté le Smic et les salaires des enseignants, policiers, militaires, infirmières, puéricultrices, assistantes sociales, exempté d’impôt les Hongrois de moins de 25 ans, etc. » Une offre réduite et une demande croissante, mécaniquement cela crée une inflation des prix. Voilà pourquoi le gel des prix en Hongrie n’a pas marché et paraît de manière générale peu efficace.
Dès lors que peut faire l’État pour protéger la capacité des ménages à bien se nourrir et éviter la grogne sociale ? Distribuer des chèques alimentaires aux plus modestes ? Cela paraît une bonne idée car « plus un ménage est pauvre, plus l’alimentaire pèse lourdement dans son budget » pointe Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision à l’OFCE. « Mais avec une mesure ciblant les bas revenus, vous excluez le bas de la classe moyenne : ceux qui gagnent 10 %, 20 % de plus que le Smic. Leurs salaires, contrairement au Smic et aux prestations sociales, ne sont pas indexés sur l’inflation » poursuit-il.
L’État doit-il alors réduire la TVA sur les fruits et légumes locaux comme envisage de le faire la Belgique ? Difficilement tenable en France avec l’engagement présidentiel de ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB en 2027. L’État pourrait aider les producteurs d’une agriculture durable à supporter la hausse de leurs coûts ? Rien ne dit qu’ils répercuteront ces aides sur les prix. La solution pas simple est probablement à chercher dans une combinaison d’actions ciblées.
Dans le programme de SES
Seconde. « Comment se forment les prix sur un marché ? »
Première. « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »