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Politique économique

Xavier Jaravel : « Si elle veut innover, la France doit sortir de son déclin éducatif »

Xavier Jaravel, meilleur jeune économiste de France 2021, appelle à un sursaut éducatif pour réduire les inégalités, favoriser l'innovation et doper la croissance économique.

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© Emmanuel Littot

Âgé de 31 ans, professeur associé à la London School of Economics, Xavier Jaravel a reçu le 31 mai le prix du meilleur jeune économiste de France par le think tank Le Cercle des économistes, pour ses travaux montrant comment les inégalités freinent l’innovation.

Pour l’économiste, la solution passe par une politique d’éducation nationale réduisant les inégalités et permettant au plus grand nombre d’innover.

Pour l’Éco. Dans vos travaux vous faîtes le constat de fortes inégalités dans l'accès aux métiers innovants. Quelles solutions proposez-vous pour y remédier ?

Xavier Jaravel. Dans nos études, nous avons calculé les disparités dans la propension à faire un métier dans l’innovation : créer une start-up, être ingénieur, etc. Et celles-ci sont très élevées.

À performances scolaires égales, vous avez dix fois plus de chance d’aller dans un métier d’innovation si vous êtes issus d’une famille dans le top 10 % de la distribution des revenus, plutôt que dans une famille en-dessous de la médiane de la distribution des revenus.

Il existe aussi des disparités territoriales : par exmple, l’Isère a par exemple des taux élevés d’innovation bien plus élevés que la Haute-Savoie, 

Jusqu’ici, les politiques publiques des pays se sont concentrées sur des incitations financières à l’innovation sous la forme de subventions à ceux qui appartiennent déjà au monde de l’innovation.

Le problème est qu’il ne faut pas uniquement encourager les gens déjà dans le monde du travail. Il faut mobiliser des talents en amont, au moment où ils font leur choix professionnel, et cibler des personnes comme dans les zones d’enseignement prioritaire (ZEP), à priori exclues de par leur milieu social de ce type de carrières.

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Il faut mener une politique de sensibilisation aux métiers de l’innovation pour permettre à ceux et celles qui le souhaitent de se projetter dans ces carrières.

Plusieurs solutions existent : à travers des mentorats, via des ateliers dans les collèges et les lycées, ou grâce aux internats d’excellence.

Aujourd’hui en France, on trouve par exemple le dispositif « Un jeune, un mentor », doté de 16 millions d’euros, qui vise à développer le mentorat dans le pays. Mais ce n’est pas suffisant.

Une politique éducative ayant pour objectif l’innovation par tous aurait un coût d’environ 100 millions d’euros par an et permettrait d’augmenter la croissance de la France d’au moins 5 milliards d’euros par an à horizon de 5 à 10 ans.

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Ce serait un retour sur investissement très important, qui pourrait inspirer d’autres pays.

Éco-mots

Innovation

C’est l’application « industrielle » réussie d’une invention dans le domaine économique et commercial. Pour l’économiste Joseph Schumpeter, elles sont essentielles à l’économie et expliquent le caractère cyclique de la croissance.

L'État est le seul à pouvoir encourager l’innovation ?

X. J. Le rôle de l’État est de réduire les inégalités de chance et notamment l’accès aux métiers de l’innovation. C’est un impératif moral mais aussi économique, puisque cela pourrait avoir un effet important sur la croissance à terme.

En France, nous avons un retard en matière d’innovation par rapport à d’autres pays comme les États-Unis ou l’Allemagne, car nous subissons un déclin éducatif depuis vingt ans.

Nous avons connu une érosion des performances en mathématiques et dans d’autres domaines. Les meilleurs régressent par rapport au niveau de ceux qui étaient les meilleurs il y a 20 ans.

La France ne s’est pas assez alarmée de ses mauvais résultats aux tests Pisa, . Il faut pourtant une population bien formée pour pouvoir concevoir et utiliser les innovations.

Nous sommes face à défi éducatif majeur. Il est possible de le relever : l’Allemagne et le Portugal l’ont fait.

Mais pourquoi les pays les plus efficaces en matière d’innovation sont des pays où l’État intervient moins, comme les États-Unis ?

X. J. Deux éléments l’expliquent. Le premier est l’effet de la taille du marché.

Aux États-Unis, les startups ont accès à un marché de 300 millions de consommateurs. En France, le marché unique, qui regroupe les anciens marchés nationaux des États membres de l’Union européenne, établit en réalité des barrières réglementaires d’un pays à l’autre, ce qui complique le passage à l’échelle.

La solution serait de conclure des accords commerciaux avec plusieurs pays afin d’avoir une taille de marché plus importante. On l’a vu par exemple avec les vaccins. D’avoir eu un marché mondial a permis de trouver un vaccin en moins d’un an.

Le deuxième facteur est l’immigration. Aux États Unis, 30 % de l’innovation provient des migrants alors qu’en France le solde migratoire est plutôt négatif : les Français ont tendance à partir à l’étranger pour innover. La Silicon Valley en constitue un exemple : c'est un écosystème stimulant qui attire les innovateurs du monde entier et lui permet de s’auto-entretenir.

La France pourrait inverser sa tendance en se spécialisant dans certains domaines comme les technologies nucléaires.

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Le nucléaire, qui pose plusieurs problèmes, dont les déchets radioactifs, ouvre la question de l’énergie propre et de l’électricité décarbonée. Une des grandes innovations des années à venir sera la fusion nucléaire.

C’est déjà le cas du projet international Iter (pour réacteur thermonucléaire expérimental international, NDLR), situé à proximité du centre d’études nucléaire de Cadrache, dans les Bouches-du-Rhône, et qui est de cette nouvelle génération nucléaire de fusion nucléaire.

L’enjeu pour la France est d’éduquer davantage et d’être attractif pour que les Français restent et que les étrangers viennent. ​​​​​​

Vous avez étudié à Harvard et vous enseignez à la London School of Economics. Quelles inspirations en tirer pour l'enseignement de l'innovation en France ?

X. J. En France, le système éducatif est régi par une relation verticale entre les élèves et les enseignants. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, la distance entre les deux est moindre. C’est crucial pour initier l’élève au monde de l’entreprise, où il ne faut pas avoir peur de se lancer, de rater ou de proposer des idées.

En France, un des cursus d’excellence passe par les classes préparatoires et les concours. Ce sont des trajectoires où les élèves apprennent à avoir des certitudes sur un sujet mais où on ne développe pas l’esprit de doute sur l’état des connaissances.

Ce n’est pas une formation à la recherche, alors qu’aux États-Unis, les étudiants vont être exposés à des chercheurs dans les office hours — les heures de disponibilité des professeurs pendant lesquelles les étudiants peuvent les interroger. Grâce à ce type de rencontres, les étudiants voient que le savoir est quelque chose qui se construit d'erreurs en réussites, où il faut être partie prenante.

Quelles conséquences a eu le Covid-19 sur les inégalités dans l’innovation ?

X. J. Les types d’innovation que l’on voit apparaître dépendent des opportunités des entrepreneurs. Celles-ci sont elles-mêmes liées aux revenus des consommateurs et du type de reprise de la consommation.

Dans cette crise, comme dans d’autres crises économiques, les inégalités de revenu ont augmenté. Globalement, les États-Unis sont le pays où ce déséquilibre a été le plus fort, car pendant la crise il y a eu moins de dispositifs automatiques d’aides.

En revanche, la France est mieux située. Avant la crise, les inégalités étaient stables — elles pouvaient être élevées mais n’augmentaient pas — et pendant la crise, le pays a largement soutenu les ménages grâce au chômage partiel.

Mais dès lors, on peut craindre une reprise de la consommation moins dynamique pour les produits de première nécessité, que les ménages moins aisés achètent davantage en proportion de leurs revenus, que pour les produits de luxe, auxquels ont plus facilement accès les plus riches.

Si c’est le cas, on peut supposer que l’entrepreneur qui veut créer une start-up dans les prochaines années se tournera vers le secteur du luxe, car l’innovation se dirige avant tout vers les marchés en meilleure santé.

C’est logique, car innover coûte cher et il faut avoir un rendement suffisant pour payer les coûts fixes. Mais cette situation pourrait être de nature à renforcer les inégalités.

Crédit photo : Emmanuel Littot / Le Cercle des Économistes

Eh non, l’automatisation ne détruit pas d'emplois

L’automatisation est un autre sujet de recherche de Xavier Jaravel. Ses travaux sur le sujet apportent des résultats contrintuitifs : non l’automatisation ne détruit pas l’emploi.

« Intuitivement, on se dit que l’automatisation remplace une personne et donc réduit l’emploi, mais nos travaux et les données montrent l’inverse. Les entreprises qui automatisent davantage, augmentent leurs effectifs, car l’automatisation a un effet sur la taille de marché potentielle et sur le besoin en effectifs.

Si vous automatisez, vous devenez plus productif, vous pouvez baisser les prix, augmenter la qualité de vos produits et donc attirer davantage de consommateurs. Vous gagnez des parts du marché et devez augmenter vos effectifs pour répondre à une demande plus élevée.

C’est vrai au-delà des entreprises, à l’échelle d’un pays. Quand on regarde les différences entre plusieurs secteurs en France, on arrive à la même conclusion. Dans tous les cas, on observe que l’emploi augmente quand l’automatisation augmente.

Et si on prend l’exemple de l’Allemagne, on s’aperçoit aussi qu’il y a plus de robotisation et de création d’emploi. Automatiser permet d’être plus compétitif, tout en préservant l’emploi.

Une taxe sur les robots réduirait notre compétitivité et serait contreproductive : nous perdrions nos parts de marché. L’Allemagne, les États-Unis et la Chine ne s’arrêteront pas de robotiser et nous achèterons simplement leurs produits. »